Tandis que le soleil déclinait, Bernandouc, le régent, regardait pour la énième fois l'océan s'étendant à l'Est du Frilanka. Le LonguePince était parti depuis plusieurs mois, avec à son bord le fils de Géduoin Ier âgé à peine de dix années, ainsi que le petit-fils de Toron guère plus âgé.
Nobles comme roturiers avaient embarqués dans le LonguePince. Ce fier navire, joyaux de la flotte Marodianne portait à présent vers le lointain ce qui devait subsister du peuple Marodian. Bernandouc s'était efforcer de faire embarquer dans ce navire autant de diversité possible, aussi bien dans les compétences et les connaissances que dans les âges. Des vieillards comme des enfants voguaient à présent vers des lieux inconnus. Certains auraient jugés inutile de faire embarquer de vieilles personnes. La main d'oeuvre serait importante pour coloniser un nouveau monde. Cependant, Bernandouc y voyait une autre utilité. Celle de réguler l'impétuosité des plus jeunes via la sagesse des plus âgés.
Quoi qu'il en soit, c'était trop tard pour changer quelque chose. Ils auraient à se débrouiller seuls à présent. Le régent avait particulièrement confiance en certains personnes à bord du navire. Pour commencer, Eckwan et Lirel, bien que très jeunes, avaient chacun dans leur sang celui de grands guerriers et meneurs. Une fois adultes, ils mèneraient sans doutes le peuple Marodian vers une expansion sans limites. Pourvu qu'ils canalisaient ensemble leur ambition au lieu de s'affronter mutuellement dans une lutte éternelle. Pourvu qu'ils suivent les exemples de leurs aïeux.
Ensuite, le Capitaine du LonguePince, Varim Malvick, était un homme plein de ressources, prudent en mer, prenant toujours de bonnes décisions, peut-être pas les meilleures, mais de bonnes décisions. Il conduirait le LonguePince vers des terres fertiles et paisibles. Enfin, à bord du navire figuraient une garnison de l'armée Marodianne. Des membres de la Garde d'Ecensor, quelques membres de la Garde Royale, et d'autres garnisons. Parmi ceux de la Garde Royale figurait un homme avec qui il partageait une grande amitié. Alrik était âgé d'une quarantaine d'années. Il avait combattu sous les ordres d'Eckwan Ier et de son frère. Ce vétéran avait grandi avec lui à la frontière Nord, et tout comme Bernandouc, il était né une épée dans les mains et avec du sang de trolls et d'orques sur les mains. Parmi les autres soldats, se trouvaient quelques jeunes officiers relativement prometteurs, comme Azamir qui, bien qu'ambitieux, se montrait avoir un bon sens du commandement.
En clair, tout semblait pour le mieux pour la survie de cette partie du peuple Marodian. Le plus important à présent était la survie du peuple Marodian se trouvant ici, dans les décombres du Royaume.
Bernandouc se retourna vers l'Ouest, et en entrant à pied au pas de course dans la forêt enneigé il ordonna à sa garde rapprochée de le suivre. Le régent n'appréciait pas de monter à cheval, le mieux pour tuer des orques et des trolls était de rester sur ses deux pieds et d'être plus mobile. Son épée de guerre à deux mains dans le dos et son armure de cuir épais avec quelques disques de fer cousus formaient l'essentiel de son équipement. Sa garde rapprochée était composée de deux seuls hommes. L'un venait lui aussi de la frontière Nord, l'autre venait du Frilanka. La frontière Nord, le Frilanka, bien souvent ces deux contrées hostiles et froides avaient fournis les hommes les plus robustes et durs à l'armée Marodianne. Nombreux avaient été les habitants des contrées paisibles à traiter de ''barbares'' les Nordiques et les Frilankais. Pourtant, ils ignoraient tout de leur mode de vie, de ce qu'ils avaient fait pour Marodia. A présent, les derniers Marodians étaient ravis lorsqu'ils voyaient ces ''barbares'' dans les rangs qui défendaient leur vie contre les Caslyannais.
En courant ils mirent peu de temps pour sortir de la forêt et arriver aux environs du manoir et du village. Le village, cet amas de petites cabanes en bois était bien prétendant pour s'appeler village. A chaque fois qu'il voyait ce village, Bernandouc agrippait la poignée de son épée avant de la relâcher. Un vieux réflexe. Ces cabanes ressemblaient fort aux huttes construites pas les orques et les trolls dans les territoires sauvages.
Le régent pénétra dans les ruelles pleines de gadoue du village, il entra dans une cabane pas plus grande que les autres. Son chez lui. Enfin, son lieu de vie. Ou plutôt, son endroit pour dormir. Il n'avait pas accepté de vivre dans le manoir, laissant la place aux autres Marodians et aux nobles si ça leur chantait. Il préférait partager la misère du peuple Marodian plutôt que de les narguer depuis des murs de pierres. Que penseraient-ils s'il se mettait à se cacher derrière des murs robustes qu'ils n'avaient pas ? Pourquoi les soldats qui vivaient dans ce bourbier se battraient-ils pour lui et avec lui alors que lui était au chaud dans un lit douillet ? Déjà que nombreux étaient ceux à rejeter sur lui la faute de l'état actuel du Royaume. La faute ! Sur lui ! Quand tous ces foutus nobles se battent entre eux dans leur stupide quête du pouvoir, il n'y a pas grand chose à faire pour arranger la situation.
Les Caslyannais n'avaient plus qu'à venir donner une pichenette au rocher pour qu'il roule en bas de la pente. Chose qu'ils ont fait à merveille ! Si seulement cet imbécile de Bwenn et cet idiot de Jacinto avaient cessés leur foutue guerre quand les Caslyannais étaient arrivés en masse sur le territoire Marodian. Et pourquoi Géduoin n'avait pas massacré les Caslyannais et réduit en cendres Cya pendant qu'il le pouvait ? Le régent n'en avait pas la moindre idée. ''Epargnez un prisonnier et il vous tuera dans votre sommeil.'' C'était un dicton Nordique. Là bas, dans le Nord, ils ne faisaient aucun prisonnier et n'épargnaient personne.
Enlevant ses bottes, il s'allongea sur les planches de bois qui lui servaient de lit. Ses gardes entrèrent dans leur cabane juste à droite de la sienne.
Bernandouc s'endormit, n'adressant aucune prière. Dans le Nord, on ne croyait en aucune Etoile ou divinité. On croyait seulement en l'acier, au sang, au froid, à la guerre et on espérait. On espérait pour connaître un jour la Paix. La paix n'existait pas sur la frontière Nord.