La cité de
Nouvel Ecensor était encore baignée dans la brume matinale quand
Eckwan, accompagné d'un
Défenseur en armure noire, sortit d'une taverne d'Autrerive et se remit en selle sur
Vilamme. Le claquement des sabots ferrés sur les pavés de l'avenue lorsqu'il s'éloigna fut le seul bruit qui dérangeait ce début de journée. Les deux hommes avaient croisés seulement quelques soldats et citadins qui se déplaçaient dans la ville via les ruelles. La capitale autrefois grouillante de vie était pour ainsi dire, morte. Le Roy secoua la tête, peu importait le nombre de personnes, ce qui comptait c'était les personnes elles-mêmes.
Le
Défenseur déclara :
- Il reste encore quelques tavernes que nous n'avons pas visité, mon Roy.Eckwan acquiesça de la tête en pressant sa monture.
Les deux cavaliers traversèrent une autre rue pour déboucher devant une place nouvellement construite. Quatre fontaines aux coins, une plus grande au centre et une statue sur celle-ci, avec des motifs travaillés en quartz sur le sol de la place. L'architecte qui l'avait conçue était l'un des architectes de la Maison Delvain. La statue représentait un soldat brandissant de la main gauche l’étendard du Royaume.
Eckwan soupira quand il se reconnut dans les traits du soldat qui portait de surcroît une couronne semblable à la sienne. Le Roy n'eut pas le temps d'émettre une remarque à propos de la statue que son garde lui indiqua en face une taverne en pleine activité. Les cavaliers se dirigèrent vers la bâtisse en bois et pierres sur laquelle était accrochée une enseigne avec simplement écrit :
''A la Brune généreuse''.
Le Roy et Grand-Prêtre attacha son hongre noir à l'un des poteaux destinés à cet effet. A peine eut-il entré dans la taverne que ses narines furent assaillies par des effluves d'alcool et d'herbe à pipe. Des soldats, marins, fermiers et autres citadins étaient regroupés là. Tous riaient, buvaient et parlaient fort. Bien qu'ils n'étaient pas nombreux, la taverne s'animait d'une activité qui contrastait avec celle de la capitale.
Eckwan aperçut au fond de la salle principale une femme à la poitrine nue s'éclipser dans une autre pièce avec un homme qui n'avait plus tous ses esprits. Le tavernier, un homme filiforme au gros nez s'approcha, se frottant les mains, pensant sans doutes pouvoir faire de nouveaux profits. L'homme les aborda :
- Que puis-je pour vous, messieurs ? Nous avons de la bière, de l'hydromel, du pain ou de la viande. Vous trouverez sans doutes ce que vous cherchez, sauf du vin ! Le vin c'est bon pour ces sacrés bourgeois et nobl... le tavernier s'arrêta net.L'homme au gros nez venait de remarquer l'armure noire que portait le garde d'
Eckwan. Les yeux du tavernier se reportèrent sur ce-dernier, le décrivirent en détails, se posèrent sur l'emblème de l'épaulière, sur les gardes des deux épées, revinrent sur le visage. L'homme béat, la stupéfaction se lisait sur sa face. S'il avait put comparer la statue sur la place en face avec le nouvel arrivant, nuls doutes que cela n'aurait fait que confirmer ce qu'il savait déjà. Avant que le tavernier ne puisse prononcer un mot,
Eckwan déclara simplement :
- Je cherche une femme. Une serveuse aux cheveux bruns, d'une trentaine d'années peut-être.Le tavernier resta un long instant la bouche ouverte avant de la refermer et d'hocher de la tête, se confondant en révérences mal exécutées :
- Oui, bien entendu mon Seign... mon Roy. Mon Roy veut-il parler de Jasina ?Le gaillard appela et une serveuse bien en chair à la robe marron et au tablier blanc tâché, aux cheveux bruns en chignon, s'avança d'un pas étonnamment léger et adressa un regard interrogateur au tavernier. Avant que l'un des deux ne puisse dire mot,
Eckwan présenta un poignard à la femme :
- Reconnaissez vous cet objet ?La serveuse,
Jasina, s'exclama en empoignant l'arme et en la glissant à sa ceinture :
- C'est à moi ! elle pointa son index vers le Roy. C'est ce saligaud de Razal qui vous envoie ? Ce gredin n'a même pas eu les tripes de venir lui même me rapporter ce qu'il m'a volé ! Dîtes lui qu'il me doit encore une trentaine de deniers ! Et qu'il vienne me les apporter lui-même. A moins que vous ne soyez aussi là pour payer sa dette. Dans ce cas enfilez une robe et un tablier et remplacez moi !Eckwan et le
Défenseur restèrent de marbre face à un tel discours. Le soldat d'élite avait empoigné la poignée de son épée qui saillait au dessus de son épaule gauche. Le tavernier se courba gauchement :
- Pardonnez la mon Roy. Elle manque cruellement de tenue.***
Le sceau à tête de Loup de la Maison Delvain s'imprima dans la cire mauve chaude, scellant le papier replié sur lui même.
Eckwan tendit la missive à un homme au visage creux, revêtu de l'armure blanche des
Défenseurs d'Argent de
Gamabal. Au dessus du sceau était écrit en caractères noirs sur blanc :
''Amiral Varim Malvick''. L'homme en armure s'en alla après une brève inclination de tête.
Le Roy soupira en s'adossant contre le dossier de son siège massif en bois. L'enquête sur la tentative d'assassinat n'avançait pas. La piste du coté de la servante n'avait mené à rien, et les informations que
Razal avait recueilli à propos du garçon étaient inexploitables. Pour couronner le tout,
Orade, la prêtresse présente lors de la tentative d'assassinat, avait tout simplement disparu. Elle semblait s'être volatilisé. Sa chambre dans les quartiers des prêtres et prêtresses de la citadelle de
Gamabal était vide d'affaires, comme si personne n'y avait habité depuis des mois.
***
Le ciel était noir et ponctué de petites étincelles blanches quand la troupe de cavaliers sortit des murailles du centre-ville. Les soldats aux couleurs de Marodia passèrent dans un concert de cliquètements et claquements dans les rues, ils dépassèrent les champs du Nord et la muraille dressée à l'époque de la République. La troupe poursuivit sur la route menant à Céloutata un moment avant de virer à gauche et de pénétrer dans la forêt qui bordait des deux cotés la voie. La patrouille avançait au pas, quelques soldats de la Garde de
Nouvel Ecensor avaient encochés une flèche à leur arc, tandis que les autres caressaient la poignée de leur épée. Tous scrutaient les environs, comme s'ils s'attendaient à apercevoir quoi que ce soit dans cette obscurité.
Bien sûr
Eckwan n'avait pas de problèmes pour voir, il distinguait toujours comme en plein jour, hormis le simple fait qu'il ne voyait pas dans la pénombre les couleurs. Depuis cette nuit qui l'avait changé, qui avait rendu ses yeux dorés, qui lui avait permis de dialoguer avec les loups, il distinguait tout avec plus de netteté. Quoique l'amélioration de ses sens était bien infime, sauf pour sa vision.
Le Roy observait les arbres pendant qu'il cheminait sur
Vilamme, son étalon d'un noir d'encre équipé d'une armure de la même couleur que la robe. La main gauche tenant fermement les rênes, la droite empoignant la poignée de
CrocPâle[i] qui saillait au dessus de son épaule du même côté. [i]FoudreLame reposait dans son fourreau, sur son côté droit. Le Grand-Prêtre et Roy avait son arc court de guerre en bois d'if,
PerceCrève, en bandoulière et un carquois plein sur le flanc gauche.
A sa gauche chevauchait
Alrik, aux cheveux blancs, et à la face dure divisée en deux par une balafre la traversant de part en part et dont la moitié gauche du visage n'était plus qu'une énorme cicatrice lui recouvrant jusqu'à une partie du cuir chevelu. La brûlure était un souvenir de la reprise de
Nouvel Ecensor, à l'époque où
Claw Sikorski s'était auto-proclamé Président de la République. La balafre,
Eckwan ne savait pas quelle en était la cause, mais, chose sûre, elle était plus âgée que le Roy. En tous cas,
Alrik, désormais Général de l'Armée Marodianne, était un homme juste, un vétéran qui avait vu plus de batailles qu'on ne pouvait en compter, c'était un redoutable bretteur doublé d'un bon commandant.
Eckwan se savait être lui-même un bon escrimeur, mais il n'aurait pas parié qu'il remporterait un duel contre le Général.
Pendant une longue heure la troupe d'une vingtaine de Gardes progressait dans la forêt n'émettant pas plus de bruit que nécessaire. Le Roy avait décidé de participer à cette patrouille, afin de constater de part lui même les fruits de l'entraînement des Gardes.
Alrik menait lui même toutes les nuits une patrouille hors de la ville. Un très bon entraînement pour les soldats disait-il, et c'était vrai. Lorsqu'il n'y a pas d'ennemi humain à combattre, il reste toujours les Créatures des Ténèbres.
Comme si penser à elles fut un déclencheur, le croassement d'un corbeau se fit entendre, puis une flèche siffla et se ficha dans l'encolure d'un cheval brun qui hennit et se cabra, faisant tomber de sa selle le Garde qui le montait.
Alrik dégaina d'une main son épée de guerre -tenue à deux mains par le commun des soldats- et faisant tournoyer la lame au dessus de sa tête, il hurla des ordres :
- Epées au clair, Gardes de Nouvel Ecensor ! En cercle !Dans un sifflement de lames dégainées les Gardes s'exécutèrent.
Eckwan raffermit sa prise sur
CrocPâle qui n'émit pas un seul bruit en sortant de son fourreau. D'autres flèches surgirent de la pénombre et s'abattirent sur un mur de bouclier formé par les soldats. Des bruissements très rapides de pattes sur la terre furent les seuls avertissements pour les autres hommes de l'arrivée d'araignées géantes. Le Roy, lui, voyait bien ces créatures, ainsi que les squelettes ambulants armés d'arcs plus loin. Les arachnides se ruèrent sur la troupe, se jetant sur les cavaliers qui tombèrent de selle pour la plupart. Les épées rencontrèrent les mandibules, les pattes. Une pluie de flèches venant de nul part s'abattait régulièrement sur le cercle de soldats. Les bestioles noires poussaient des sons stridents, les montures des cavaliers hennissaient, et comme en réponse aux sons aiguës, les hommes hurlaient des cris de guerre comme ''Marodia ! Marodia !'', ''Nouvel Ecensor !'', ou bien encore ''La Garde tient bon !''. Ce dernier cri poussé avec un entrain si faible qu'il faisait pâle figure avec ce qu'il signifiait autrefois.
Eckwan, encore sur son hongre, était aux prises avec une créature ayant perdu trois pattes, et hurlait sa devise, celle de la Maison Delvain et qui était inéluctablement son cri de guerre :
- Jamais ne ploie ! Jamais ne ploie !Le cavalier rajoutait parfois un ''Pour Marodia !'' ou un ''Pour le Royaume !''. Lorsqu'il cria soudain ''Pour la Reine !'' le Roy eut une pensée ressemblant au sentiment qu'il y avait là un problème dans ses paroles, mais elle fut vite oubliée, engloutie par la bataille.
Une araignée se jeta depuis la branche d'un pin sur le Roy qui s'effondra sur le sol avec elle. Un ''Le Roy est à terre !'' sortit de la bouche d'un des Gardes qui luttait les deux pieds au sol. Alors que le cri était repris chacun son tour par les soldats,
Eckwan couché sur le dos, sentit les mandibules de la créature velue s'attaquer à son visage. L'arachnide fut soudain écartée et clouée au sol par l'épée de guerre d'
Alrik. Le Roy se releva en hâte, la figure en sang, il était blessé à de multiples endroits, comme tous les soldats présents, mais il avait vaguement l'impression que quelque chose clochait. Il dégaina de la main gauche
FoudreLame qui était restée dans son fourreau et ramassa de la droite
CrocPâle. Le Roy se jeta dans la bataille, se joignant aux Gardes dans cet affrontement, combattant de ses deux lames, dans une danse d'acier découpant la chair.
La patrouille lutta pendant un temps qui aurait put être des heures comme il n'aurait put être que quelques minutes. Finalement un dernier squelette ambulant explosa en éclats d'os et plus aucune flèche ne fusa, plus un bruit de combat ne se fit entendre. Seulement les gémissements des hommes blessés gisant à terre, se relevant péniblement ou s'appuyant sur un arbre pour ne pas tomber.
Alrik donna ses ordres :
- Rassemblez les soldats, faites le compte des hommes selon la procédure. Ramenez les chevaux et faites aussi le compte, alors que quelques Gardes s'exécutaient, le Général se tourna vers le Roy. J'ai connu plus d'un homme qui a été dans votre cas. Tous n'ont pas eu la chance que quelqu'un les débarrasse de l'araignée. Il n'en restera que des cicatrices apparentes sur le visage quoique pas envahissantes. Sauf pour ce qui est de votre œil bien sûr.Alors qu'
Eckwan, qui avait rengainé ses épées, fronçait carrément des sourcils, ne comprenant pas la dernière phrase, un des Gardes, borgne, courbé contre un tronc dit d'un ton rassurant un peu faussé par la crispation de ses muscles :
- On s'y fait, vous verrez, il acheva en désignant le cache-œil de son orbite droit.Ce fut un choc, le Roy prit soudain conscience de ce qui clochait. Il porta vivement une main à son œil gauche. Ses doigts rencontrèrent un creux mou, visqueux et ensanglanté. Son œil gauche était toujours là, mais hors d'usage, à moitié dévoré. Il eut conscience de toute la douleur qui lui parcourait le corps, de chaque filet de sang qui coulait de chacune de ses plaies. La douleur se déversa en lui comme un torrent d'eau retenu par un barrage qui vient de céder.
Eckwan cilla et dû s'appuyer à un arbre pour que ses jambes ne se dérobent pas sous lui.
Les Gardes revinrent au rapport. Sur les vingt soldats, il n'en restait que cinq blessés ''légèrement'', trois blessés gravement mais pouvant marcher, quatre trop blessés pour marcher, deux à l'agonie, et six morts. Sur les vingt-deux chevaux n'en restait plus que neuf pouvant porter quelqu'un, dont les montures d'
Eckwan et d'
Alrik. L'armure de l'étalon noir l'avait protégé en grande partie, cependant, la monture du Général n'avait pas plus d'armure que son cavalier. Et aucun n'était très gravement blessé, le Roy se demanda s'il existait un secret connu d'eux seuls. Le reste des hongres était introuvable ou bien mort.
Finalement, la patrouille prit le chemin de
Nouvel Ecensor, les plus proches amis des deux hommes à l'agonie avaient abrégés les souffrances des braves gaillards. La ville était malheureusement trop loin pour qu'ils puissent survivre jusque là. Les soldats incapables de marcher furent hissés sur quatre montures, sur les cinq autres chevaux la troupe chargea les cadavres des Gardes. Les autres guidaient à pied les bêtes, la charge de l'équipement des morts et invalides répartie entre eux.
Eckwan ouvrait la marche avec
Alrik, les deux hommes tenant par la bride leur étalon qui transportait chacun un blessé. Le Roy maintenait fermement contre son dos la grosse pièce de tissu qui contenait une armure complète et deux épées, le tout cliquetant en se ballottant à chaque pas.
Le cortège revint ainsi lentement vers la capitale et entra dans la cité alors que le soleil était encore invisible.
***
Une semaine auparavant la République Populaire de
Tricomin avait renié le Culte des Étoiles. République Populaire, oui, le fondateur de
Tricomin,
Timon -descendant du Duc
Timon du
Frilanka- avait fait son coup d'état. Il avait proclamé la République Populaire, et en prit les rênes. Et ce, sans effusions de sang, tous les Tricominiens l'avaient accepté comme Leader de la nation.
Quelques jours étaient passés depuis qu'
Eckwan Delvain était revenu de la patrouille où il y avait laissé son œil gauche. Plusieurs cicatrices étaient disséminées sur son visage, une fendant sa bouche, une seconde se voyant à peine sur le nez, une autre naissait au dessus de son arcade sourcilière gauche et descendait à mi-joue, traversant les paupières gauches maintenues closes par quelques points de sutures ne se distinguant même pas. Le reste des marques était éparpillé sur les joues. Un bon nombre de personnes l'auraient qualifié de défiguré, mais ce n'était rien comparé à
Alrik, et de toute façon,
Eckwan se moquait de son apparence. Il ne voyait en ces cicatrices qu'un souvenir, un rappel -certes inutile- que tout le monde meurt un jour.
Ce qui comptait présentement était
Bratisqueur. En effet,
Tricomin ayant renié le Culte des Étoiles, cela avait entraîné inéluctablement une guerre.
Eckwan en tant que Grand-Prêtre avait appelé les fidèles à la Guerre Sainte. Entraînant le Royaume de
Marodia et le Duché de
Sharagon en conflit armé avec la République. Celle-ci avait envoyé en direction de
Sharagon un navire de guerre stoppé à temps par le Duché et le Royaume. En réponse à cela, les alliés avaient préparés une riposte et il fallait désormais la mettre en œuvre.
Depuis le pont supérieur du navire de transport, le Roy revêtu de son équipement de guerre observait les murailles sur la rive en face.
Bratisqueur, petit bourg fortifié de la République Populaire de
Tricomin, dirigé par son fondateur, un certain
Lode Var', anciennement membre du Conseil de
Tricomin et actuellement Amiral de la flotte républicaine.
Lirel Toron avait débarqué quelques jours auparavant assez loin du bourg avec ses troupes Sharagonnaises. De son coté, le Roy de
Marodia menait une plus petite troupe, des
Défenseurs de
Gamabal au nombre de cinq cents, et pour cette opération, ils n'avaient pas leur chevaux ce qui ne posait aucun problème puisque les
Défenseurs constituaient l'élite Marodianne, entraînés au maniement de toutes les armes, à se battre à terre ou à cheval.
Les cinq navires de transports heurtèrent la rive, les pans de bois basculèrent et avec fracas ils s'abattirent sur le sol. Bientôt, les
Défenseurs lançaient déjà des grappins vers le haut des murailles et commencèrent l'ascension.
Eckwan entra avec ses huit cents hommes dans l'enceinte du bourg, balayant les quelques gardes républicains qui étaient postés là. Les bruits familiers aux batailles se faisaient déjà entendre. Les Sharagonnais avaient eux aussi passés les remparts -quoique peut-être pas de la même façon que les Marodians- et ils étaient aux prises avec la garde de
Bratisqueur. Les deux armées luttaient à forces égales, désertant les murailles et se battant dans l'enceinte.
Le Roy s'élança en avant sans piper mot et la troupe suivit sans prononcer une seule syllabe. Il fallait minimiser les bruits et arriver dans la bataille comme un loup bondit sur sa proie. Les Marodians arrivèrent à deux cents toises de la bataille. Soudain une trompette Tricominienne signala l'arrivée d'une troupe de peut-être quatre cents cavaliers. La cavalerie barra la route des
Défenseurs et les chargea. La troupe était menée par le Leader
Timon au vu des bannières. Une petite mise en bouche qui courrait droit à sa perte.
Eckwan saisit
PerceCrève, son arc de guerre, et encochant une flèche il cria :
- Lames au clair ! La Défense est solide ! Sonnez les Cors ! cette première partie fut reprise par les soldats, étant le cri de guerre de la Défense de Gamabal, et les Cors de la Défense émirent leur musique. Hallebardiers, en ligne devant ! Le reste à vos arcs !Les officiers répétèrent les ordres, et rapidement une ligne d'une centaine de
Défenseurs formait une ligne devant, brandissant leurs hallebardes vers la charge de cavalerie qui approchait. Le Roy se retrouva derrière la ligne avec le reste des troupes, tous bandant leur arc et lâchant la corde. Les quatre centaines de flèches s'élevèrent dans les airs et s'abattirent dans un sifflement sur les cavaliers républicains qui chargeaient à bride abattue. Et c'est déjà diminuée que la troupe républicaine s'écrasa contre le mur de
Défenseurs. Les cavaliers s'empalant eux et leur monture dans les lames et piques des hallebardes. Le mur des soldats s'ouvrit en quelque sorte, et le reste des Marodians menés par
Eckwan se déversèrent dans la débandade de cavaliers.
Rapidement sur les quatre cents soldats montés n'en resta plus qu'une vingtaine qui prit la fuite toujours menée par le Leader
Timon. Du côté Marodian, il n'y eut aucune perte mais quelques blessures légères. Les républicains s'étaient littéralement empalés contre les armes d'hast.
Tout effet de surprise était à oublier désormais. La garde de
Bratisqueur continuait la lutte contre les troupes Sharagonnaises mais était visiblement au courant de la présence des Marodians, à manœuvrer comme ils le faisaient afin de ne pas être pris sur deux fronts. Il y avait beaucoup de pertes des deux côtés, peut-être y avait-il un léger avantage dû au terrain pour les républicains.
Jetant un regard à la fuite des cavaliers,
Eckwan se demanda combien de temps il allait falloir au Leader pour gagner
Scarpe'Tim et envoyer du renfort.
Le Roy scinda sa petite armée en deux, pendant qu'il menait la plus grosse partie vers la gauche afin d'acculer les républicains vers les remparts, l'autre groupe rejoignait les Sharagonnais.
Après plusieurs heures de lutte, la garde de
Bratisker fut forcée de lever la herse Sud et de sortir de l'enceinte des murs. L'armée Sharagonnaise toujours menée par
Lirel les suivit, reprenant le combat à fores égales.
Eckwan resta dans les murs avec les
Défenseurs. Lorsque les renforts de
Scarpe'Tim reviendraient, ils allaient sans doutes occuper le bourg, et si un trop grand nombre de soldats républicains était présent sur les murs, il serait moins aisé pour les royalistes de re-pénétrer à l'intérieur. Le Roy dispersa ses troupes sur les murailles, prêt à accueillir les renforts envoyés par le Leader.
Finalement, c'est une armée de trois milles cavaliers exténués chevauchant à bride abattue, sans doutes depuis
Scarpe'Tim, qui fut en vue. Les soldats montés semblaient désorganisés mais ils foncèrent en une masse compacte non pas sur
Bratisqueur mais vers la bataille opposant les Sharagonnais à l'armée de
Load Var'.
Eckwan hurla immédiatement ses ordres, repris par les officiers :
- Rassemblez les troupes ! Ouvrez la porte Sud, levez la herse ! Tout le monde devant les murs !Rapidement les
Défenseurs furent tous devant le rempart et foncèrent vers la bataille qui se déroulait à quatre centaines de toises de là. Tout en courant au devant de ses troupes, le Roy et Grand-Prêtre calcula et estima qu'ils n'atteindraient pas la bataille avant les cavaliers. En revanche, ils pouvaient attirer l'attention de la marée de républicains montés et la ralentir.
- A vos arcs !Le son grave des Cors de la
Défense de
Gamabal retentit accompagné d'une poussée de cris, juste avant qu'une pluie de cinq cents flèches ne s'abatte sur les quelques trois milles cavaliers républicains. Lesquels s'arrêtèrent nets. Les traits meurtriers avaient fait leur effet. Pendant que la bande désorganisée d'hommes montés ne semblait plus où donner de la tête, les Marodians se postèrent entre la bataille et la masse de chevaux et d'hommes. D'ici,
Eckwan distinguait l'équipement des cavaliers. Des plastrons dépareillés, des jambières cabossées, des casques rouillés, des épées de toutes tailles, des armes d'hasts mal tenues, des haches de bûcherons, des boucliers en vieux bois ou parfois des rondaches à moitié détruites.
<< C'est donc ça la redoutable armée de Tricomin ? >> pensa le Roy. << Pitoyable. Même la garde de Bratisqueur est mieux équipée. Et ne parlons pas de la discipline. >>La présence dans sa tête de la meute des loups se manifesta, ils parurent rire de cette remarque.
Eckwan les tenait au courant de chacun de ses déplacements. Malheureusement, ils ne pouvaient pas l'aider en éclaireur ici, leur territoire n'allait pas jusqu'ici. Et pour pouvoir communiquer avec d'autres loups, il lui fallait d'abord avoir un contact physique. Et une fois le lien établi, impossible de le rompre.
Eckwan n'était pas sûr qu'il aurait voulu avoir une autre meute de loup dans la tête même pour lui servir d'éclaireurs ici. La simple idée que toutes ses pensées étaient connues d'autres le rendait mal à l'aise. D'autant plus qu'il avait encore du mal à admettre ce dont il était capable.
Les cavaliers républicains n'eurent plus à se décider, désormais, les Marodians comme la bataille étaient dans la même direction. La marée déferla sur les royalistes. Ces-derniers répétèrent la même action que dans
Bratisqueur. Les hallebardiers devant, les autres derrière tiraient leur flèches jusqu'à l'impact. Les
Défenseurs bien qu'en infériorité numérique n'eurent pas de mal pour tenir tête à la masse de soldats montés désorganisés, mal équipés, sans oublier que cavaliers comme montures étaient exténués. Le mur des hallebardiers s'ouvrit, les Marodians heurtèrent les Tricominiens.
Eckwan dansait avec ses deux épées, tranchant les jambes des cavaliers, les faisant tomber à terre et les achevant en leur coupant la gorge.
La masse de cavaliers commença après un certain temps à se disperser, tournant bride, se retournant, tentant de prendre la fuite. Les
Défenseurs ne leur laissèrent pas de répit. Ils les harcelèrent du mieux qu'ils le purent sans chevaux, les abattirent à l'arc. Finalement seul le quart de la cavalerie put s'enfuir, s'égayant sur la route de
Scarpe'Tim. Pendant que les Marodians avaient coupés la route aux renforts Tricominiens, la garde de
Bratisqueur avait réussi à regagner ses remparts.
Finalement, les Marodians et Sharagonnais emportèrent leurs blessés et s'en retournèrent par leurs navires de transports vers leur patrie. Du côté des alliés comme de
Tricomin les pertes furent lourdes et après cet affrontement, il n'y en eut plus aucun jusqu'à ce qu'
Eckwan, le Grand-Prêtre, rappelle la Guerre Sainte. Sur les cinq cents
Défenseurs que le Roy avait emmené, trois cents revinrent avec lui. Des
Défenseurs d'Obsidienne, tous revint sauf quelques uns. Moins de pertes que du côté de Sharagon ou Tricomin.
<< Après tout, c'est de l'élite de Marodia dont il est question. >> pensa le Roy avec un brin de fierté.Ce à quoi les loups répondirent par des rires.
Eckwan songea qu'il ne comprendrait décidément jamais l'humour des loups, ce qui eut pour effet de soulever d'autres rires. Le Roy leva mentalement les bras au ciel.
***
Une semaine après la fin de la Guerre Sainte, deux mois s'étaient écoulés depuis l'envoi de la missive royale à
Varim Malvick, Amiral de la flotte Marodianne, et Capitaine du vaisseau amiral
Le LonguePince et de son navire personnel
Le Vandale.
Sur les quais du port de
Nouvel Ecensor, baptisé
''Port Malvick'' -à l'honneur de celui qui avait conduit
Le LonguePince durant l'Exil- le Roy de
Marodia salua d'un signe de main le navire qui quittait la baie et se dirigeait vers le lointain.
Le Vandale partait, sur ordre royal, pour ne revenir que dans un an ou plus. Lorsque le vaisseau fut éloigné, trois canons sur son bâbord crachèrent le feu, trois coups de canons, trois explosions qui soulevèrent les acclamations de la foule qui s'amassait sur les quais.
Eckwan sourit bel et bien, c'était bon de voir que
Nouvel Ecensor reprenait vie, le Royaume dans son intégralité semblait renaître. Le Duché de
Sharagon s'était vassalisé un mois plus tôt au Royaume, puis ce fut au tour de l'Empire
Rakatas. Cela restait du jamais vu, quelqu'un se voulant être Empereur s'agenouiller devant un Roi, et se rétrograder délibérément au rang de Duc. Délibérément, oui,
Lirel Toron et
Claw Sikorski s'étaient volontairement vassalisés au Royaume. Il n'y eut point de menaces, ni eut besoin de l'usage de la force. Les premières nations du Nouveau Monde s'étaient regroupées sous une seule bannière, afin d'en ressortir plus fort, propulsant incontestablement le Royaume au rang de puissance mondiale.
Marodia pouvait désormais de nouveau viser la place de première puissance actuellement libre. La République Populaire de
Tricomin parlait de l'impérialisme Marodian pour désigner ces deux vassalisations. Certains Tricominiens affirmaient aussi que
Marodia les craignait. Qu'ils croient ce qu'ils veulent, qu'ils soient certains de leur dominance, ou qu'ils soient sûrs d'inspirer la crainte si cela leur chante, leur écroulement n'en serait que plus grand.
Le Roy contempla un instant le navire qui voguait vers l'horizon. Le Capitaine
Varim Malvick était un homme intelligent, il savait ce qu'
Eckwan attendait réellement de lui. Le gaillard connaissait aussi sans doutes ce que personne d'autre ne savait. Il y a quelques années de ça,
Eckwan, pas encore Roy, s'était demandé pourquoi on ne trouvait nul part le trajet de l'Exil. A croire que personne n'avait cru bon de le noter.
Varim l'avait sans doutes fait.
***
La cité de
Nouvel Ecensor était endormie, les quelques torches accrochées aux façades des bâtisses semblaient être des lucioles. La partie extérieure de la citadelle de
Gamabal, forteresse de la Maison
Delvain, surplombait du haut de sa montagne la ville. Depuis les murailles de la citadelle,
Eckwan était comme un aigle dans son nid. Le Roy avait un sentiment de devoir, comme s'il devait veiller sur la capitale et ses habitants.
On pouvait presque tout voir de la capitale depuis la citadelle. Dans le quartier d'Autrerive les maisons vétustes et abandonnées avaient été démolies, laissant de la place pour d'autres bâtiments.
S'appuyant d'une main contre un des créneau, il caressa machinalement de l'autre la poignée de
FoudreLame qui reposait dans son fourreau à son côté droit. Cette épée dont le pommeau était en réalité une sculpture en bronze de tête de dragon. L'épée des Roys de
Marodia. Cette épée dont s'était servi son oncle,
Eckwan Ier, à maintes reprises. Une épée qui avait été parmi les plus solides de l'époque, et qui pouvait encore rivaliser de robustesse avec les lames actuelles. Une arme qui avait abattu le tyran
Matimat, qui avait pourfendu plus d'un homme, Troll ou Créature des Ténèbres. Le Roy se détourna du spectacle qu'offrait la cité endormie et marcha sur le chemin de ronde. Il croisa des
Défenseurs de
Gamabal la plupart en armures d'argent, quelques uns en armures d'obsidienne, qui le saluèrent avec une brève inclination de tête.
Eckwan s'arrêta quand il arriva à hauteur de la tour Nord-Ouest et contempla la grande statue qui se dressait au milieu des jardins. Le colosse représentait
Eckwan Ier, son oncle, coiffé de sa couronne, brandissant haut de la main gauche la bannière du Royaume, tenant contre lui dans l'autre main l'épée des Roys,
FoudreLame.
Quel genre d'homme était-ce ? Le Roy ne l'avait jamais connu, pas plus que son propre père,
Géduoin Ier. Ces deux hommes restaient des mystères pour lui, le premier était mort selon les livres dans d'étranges circonstances, mort sans héritier, pas même marié. Le second, l'aîné des deux frères, était apparu dans des circonstances aussi mystérieuses et il avait failli mourir sans héritier.
Géduoin lui avait bien laissé un livre, ses Mémoires, mais à la vérité cela n'apprenait pas au dernier membre de la famille
Delvain qui ses ancêtres avaient-ils été.
Eckwan avait grandi sans parents à qui se rattacher. Oh bien sûr, ses parents adoptifs l'avaient chéri comme leur fils, mais cela n'était pas suffisant. Il aurait aimé avoir quelqu'un d'expérimenté à qui demander des conseils. Et surtout, il voulait savoir si la liaison avec les loups était dû au sang.
Avant de gagner ses appartements à l'intérieur de la citadelle, le Roy se promit d'être là pour sa descendance, s'il en avait une.